Fortifications italiennes d'après guerre
La seconde guerre mondiale a montré que c'était avec la mobilité stratégique que les Armées remportaient les victoires. De nouvelles tactiques, et de nouvelles armes (la bombe atomique...) reléguaient les fortifications à un rôle de plus en plus accessoire, et ce dans l'ensemble des pays qui en possédaient.
En France, dans les années 1950, la ligne Maginot reprit cependant une certaine importance. Elle fut localement réarmée et "reconstruite" pour faire face à une hypothétique invasion du bloc communiste (l'ennemi potentiel n'était plus le même). On redonnait une chance à la fortification.
L'Italie avait tout naturellement basculé dans le camp de l'OTAN (en 1949), et c'est avec inquiétude qu'elle constatata que sa frontière du Nord-Est n'était pas fortifiée. Le nouveau voisin Yougoslave, dirigé par Tito, était un ennemi très probable, dont l'Armée (la JNA, ou Armée Nationale Yougoslave) commençait à s'équiper de matériels fournis par l'union Soviétique.
Malgré le retrait de la Yougoslavie du Pacte de Varsovie, le gouvernement italien décida d'allouer des crédits à la création d'une organisation bétonnée sur le tracé de la frontière. Il décida aussi de recréer des unités spacialisées afin d'en assurer la garde.
C'est l'histoire trop méconnue de ces unités que www.kerfent.com se propose de vous présenter!
Composition de la ligne de défense
La nouvelle ligne de défense n'était pas une ligne Maginot en réduction, il s'agissait visiblement d'un échantillonnage de blockhaus camouflés, établis sur les cols et dans les passes (en terrain montagneux) afin d'offrir un barrage antichars qui couvrirait la montée en ligne des unités de réserve, sitôt l'alerte donnée.
La défense principale repose sur un certain nombre de tourelles de chars récupérées et installées dans des emplacements bétonnés (tourelles de chars M26 Pershing, tourelles de chars Sherman M4...)
On trouve ensuite des blockhaus équipés de canons antichars couvrant certaines voies d'accès importantes (canons variés installés en créneaux, allant des vieilles pièces de 47mm déclassées aux canons de 57mm, 75mm et 90mm.
Enfin, un certain nombre de coupoles blindées (casematte metalliche) ont été installées dans des socles en béton, reliés parfois par d'étroites galeries bétonnées à de petits dépôts et abris. Ces coupoles ont un seul créneau (60 degrés pour le battement de l'arme) , et sont équipées de mitrailleuses (Breda italiennes, ou Browning d'origine américaines).
Des coupoles blindées plus larges, à 4 créneaux, ont aussi été utilisées dans certains endroits (grande ressemblance avec une cloche GFM...)
La conception de ces petits organes bétonnés prenait en compte les risques de guerre chimique, et une norme "anti NBC" a été appliquée quand cela était possible (douches, filtres etc)
Il y a deux modèles de cloches de mitrailleuses. On a réutilisé un certain nombre de cloches d’avant-guerre prévues pour le Vallo Alpino et on a construit aussi de nouvelles cloches. Toutes les deux ont quatre créneaux, mais leur taille est différente. On a installé aussi des cloches d’observation d’avant-guerre. Le plus intéressant est le réemploi de "cloches allemandes mobiles", les MG-Panzerneste. Le système de ventilation dans les casemates était relativement rudimentaire. Les hommes portaient leur masque contre les gaz tandis qu’il y avait un appareil de filtrage central. Caspar VERMEULEN (merci Caspar!) |
Photographies prises en 2003-2004 - droits réservés www.kerfent.com
Les "bataillons de position" et les "groupements frontaliers"
Le 31 juillet 1950, l'Etat Major de l'Armée italienne créa officiellement le 1er bataillon de position (I. Battaglione da posizione), rattaché au 55e régiment d'infanterie. Ce bataillon devait gérer et occuper les principales positions défensives sur la frontière orientale de l'Italie (face à la Yougoslavie et à une partie de l'Autriche), en coopération avec la G.a.F (l'équivalent de la Garde Frontière, dépendant de l'Armée). Le bataillon était organisé en compagnies de mitrailleurs et en compagnies antichars, dont les pelotons étaient répartis dans les secteurs frontaliers. En cas de mobilisation générale, l'unité servirait à la mise sur pied des 2e et 3e bataillons de position ...
En décembre 1951, une réorganisation de l'Armée permit la création de deux nouveaux bataillons de position (XIe et XXIe), rattachés chacun à un régiment d'Alpini (infanterie alpine italienne). Les deux bataillons furent affectés l'un au Nord, l'autre au sud de la frontière.
Bataillon:
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Secteur:
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Commandement:
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I. Battaglione
da posizione
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CMT Bolzano /
CMT Padova
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Guardia
alla Frontiera (G.a.F)
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XI.
Battaglione da posizione
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Comando
Militare Territoriale di Padova
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8.
Reggimento Alpini
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XXI.
Battaglione da posizione
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Comando
Militare Territoriale di Bolzano
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6.
Reggimento Alpini
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En août 1952, les XIe et XXIe bataillons sont restructurés et servent chacun à la mise en service d'un nouveau bataillon (XIIe et XXIIe). Ils perdent leur appellation de "bataillons de position" et deviennent, tous les quatre, des "groupements frontaliers" (Raggruppamenti di Frontiera)
Bataillon
d'origine:
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Transformation
(août 1952):
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XI.
Battaglione da posizione
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XI.
Raggruppamento di Frontiera
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XII.
Raggruppamento di Frontiera
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XXI.
Battaglione da posizione
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XXI.
Raggruppamento di Frontiera
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XXII.
Raggruppamento di Frontiera
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Le
1er bataillon reste le I. Battaglione da posizione
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Les groupements frontaliers sont constitués d'une compagnie d'Etat Major (Comando) et de plusieurs "groupes de barrage" (Gruppi Sbarramento) correspondant en fait à des compagnies de forteresse, réparties sur les positions bétonnées.
L'uniforme de tradition de ces unités était calqué sur le modèle des troupes alpines italiennes (Alpini), avec le chapeau de feutre kaki orné d'une plume. L'armement individuel était constitué de stocks made in USA (fusils semi-automatiques Garand...), on trouvait des mitrailleuses américaines (Browning) et italiennes (Breda). Des Fusils-mitrailleurs BREN d'origine britannique complétaient l'ensemble.
Restes d'un canon antichars de 57mm d'origine britannique (6' Pdr) exposé à la Selle Nevea (Kanin).
Le 1er bataillon ( I. Battaglione da posizione) passa finalement sous le commandement unique du Commandement Militaire Territorial de Padoue (CMT Padova), qui contrôlait déjà les XIe et XIIe groupements frontaliers. Fin 1952, des excercices d'alerte furent réalisés conjointement avec les brigades Alpines JULIA et TRIDENTINA.
Le 31 mars 1953, le 1er bataillon adopte un nouvel organigramme. Il comporte la 1ère compagnie d'Etat Major (Comando) et les 5e, 8e et 12e compagnies de position (NOTE: dans l'Armée italienne, les numéros de compagnies ne sont pas forcément classées par ordre, cela se remarque dans la plupart des unités). En cas de mobilisation, il est cette fois prévu de former 4 bataillons de position, chacun formé par l'une des compagnies d'active.
En octobre 1953, les groupements frontaliers voient leur chiffre romain disparaître au profit du chiffre arabe (Le XI raggruppamento devient le 11.Rag etc...) et à la fin de l'année, ces quatres groupements sont retirés du commandement militaire territorial pour être affectés directement aux Brigades Alpines JULIA, TRIDENTINA et OROBICA.
A partir de 1957, la dénomination de ces unités change (encore) et les groupements frontaliers deviennent tous les quatre des "groupements alpins de position" (Raggruppamenti Alpini da Posizione). L'évolution des unités est prise très au sérieux par le commandement des troupes Alpines, qui arrive à faire accepter une nouvelle modification (!) du sigle: les unités deviennent des "Bataillons Alpins de Position" (Battaglioni Alpini da Posizione). De leur côté, à l'échelon inférieur, les "Gruppi Sbarramento" (groupes de barrages) prennent l'appellation de "compagnies de barrage" (Compagnie Sbarramento); toutes ces unités conservent heureusement leur numéro d'identification !
Au milieu de ces changements passionnants, un cinquième Bataillon Alpin de Position, portant le numéro 13, verra le jour de 1958 à 1963.
De leur côté, les hommes du 1er bataillon de position ne sont pas oubliés puisque leur unité prend elle aussi une nouvelle appellation, le terme "bataillon" est en effet remplacé par "groupement", à l'encontre de ce qui se passe dans les autres unités alpines de position !
Evolution
des appellations des unités (de 1951 à 1960...)
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I.
Battaglione da posizione
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>
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>
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I.Raggruppamento
da Posizione
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Battaglione
da posizione *
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Raggruppamento
di Frontiera
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Raggruppamento
Alpini da Posizione
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Battaglione
Alpini da Posizione**
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Compagnia
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Gruppo
Sbarramento
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>
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Compagnia
Sbarramento
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* Il s'agit des XIe, XIIe, XXIe et XXIIe bataillons
** Les quatre bataillons sus-nommés mais portant leur numéro en chiffre arabe, plus le 13e bataillon, nouvellement créé.
Evolution et renforcement des unités de position
Au début de 1963, alors qu'en France on a décidé l'abandon de la ligne Maginot et la dissolution du reliquat de troupes de forteresses (37e BMEO), l'Etat Major de l'Armée italienne opte pour un renforcement important de ses troupes de couverture sur sa frontière Nord-Est.
Il est vrai que l'Italie, contrairement à la France, ne pouvait pas s'appuyer sur une politique de dissuasion nucléaire (n'ayant pas encore mis au point ce type d'armement...)
Les modifications de 1963 portent sur la nouvelle dénomination de certaines unités (qui passent sous le contrôle de l'infanterie); on observe aussi la création de 4 nouveaux bataillons alpins et l'apparition de deux "régiments d'infanterie d'arrêt" (de composition différente). Enfin, on remarquera que la numérotation des bataillons reprend le chiffre romain.
Unités
de forteresse italiennes en 1962
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Changements
et créations opérées en 1963
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I.Raggruppamento
da Posizione
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73.Reggimento
Fanteria d'Arresto"Lombardia"
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11.Battaglione
Alpini da Posizione
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XI.Battaglione
Alpini da Posizione
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12.Battaglione
Alpini da Posizione
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CCXXV.Battaglione
Fanteria d'Arresto
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13.Battaglione
Alpini da Posizione
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XIII.Battaglione
Alpini da Posizione
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21.Battaglione
Alpini da Posizione
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XXI.Battaglione
Fanteria d'Arresto
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22.Battaglione
Alpini da Posizione
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XXII.Battaglione
Alpini da Posizione
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Créations
>
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53.Reggimento
Fanteria d'Arresto"Umbria"
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XIV.Battaglione
Alpini d'Arresto
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XVI.Battaglione
Alpini d'Arresto
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XXIV.Battaglione
Alpini d'Arresto
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XXX.Battaglione
Alpini d'Arresto
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Changement de numérotation ou de dénomination - Nouvelles unités créées - Unité administrative
Le 53.Reggimento Fanteria d'Arresto "Umbria" est donc créé, il s'agit d'une unité administrative qui englobe les XVI. et XXI. bataillons existant déjà auparavant. Il n'a pas la même conception que le 73.Reggimento qui, lui, englobe les compagnies de barrage de l'ancien I.Raggruppamento da Posizione (ce régiment est maintenant organisé en deux bataillons, les II. et IV. Btg).
Le 1er juillet 1963, chaque "Battaglione Alpini da Posizione" reçoit un nom de baptême. Il s'agit généralement du nom d'une vallée, comme c'était la tradition dans les bataillons d'Alpini engagés pendant les guerres mondiales.
Les bataillons sont finalement regroupés ou attribués à d'autres grandes unités organiques. Un "commandement des troupes d'arrêt de la Carnia" est créé dans le Nord (Comando Truppe Carnia), et il englobe plusieurs bataillons. Trois de ces bataillons sont finalement réunis au sein du nouveau I.Raggruppamento Alpini d'Arresto.
Unités
d'Arrêt contôlée par le Comando Truppe Carnia
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I.Raggruppamento
Alpini d'Arresto
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Btg
Alpini d'Arresto
VAL FELLA
(XII.Btg)
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Btg
Alpini d'Arresto
VAL NATISONE (XIII.Btg)
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Btg
Alpini d'Arresto
VAL TAGLIAMENTO
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Dans le même esprit, d'autres bataillons sont réunis au sein du XXI.Raggruppamento Alpini d'Arresto, ils sont répartis auprès de trois brigades Alpines.
Unités
du XXI.Raggruppamento
Alpini d'Arresto
contôlées par les Brigades Alpines (chaque brigade
contrôle aussi des bataillons Alpini classiques).
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Brigade Alpine
TRIDENTINA
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Btg
Alpini d'Arresto
VAL BRENTA
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Btg
Alpini d'Arresto VAL LEOGRA
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Brigade Alpine
CADORE
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Btg
Alpini d'Arresto
VAL CISMON
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Brigade Alpine
OROBICA
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Btg
Alpini d'Arresto
VAL CHIESE
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En plus des brigades alpines, la frontière est couverte par la division d'infanterie MANTOVA et la célèbre division parachutiste FOLGORE. Le tout dépend de la 3e Armée italienne.
En septembre 1963 un 52.Reggimento Fanteria d'Arresto "Alpi" est créé à partir du CCXXV.Battaglione Fanteria d'Arresto, il sera formé d'une compagnie d'Etat Major et de trois bataillons d'Arrêt (I, III et V).
Modifications des unités d'Arrêt
Au début des Années 1970, le 73.Reggimento Fanteria d'Arresto "Lombardia" est réduit au rang de "bataillon", il devient le LXXIII.Battaglione Fanteria d'Arresto, organisé en quatre compagnies.
En 1975, c'est au tour du I.Raggruppamento Alpini d'Arresto d'être réduit au rang de bataillon. Son Battaglione Alpini d'Arresto "VAL TAGLIAMENTO" est le seul à être maintenu en service et remplace donc le I.Rag.
Le XXI.Raggruppamento Alpini d'Arresto subit une réduction semblable. Il est dissous et on ne sauve que deux de ses bataillons (VAL CHIESE et VAL BRENTA).
Progressivement, en parallèle à ces réductions alpines, les bataillons enrégimentés de l'infanterie (52e et 53e régiments) deviennent tous autonomes; ils reçoivent un nouvelle numérotation et un nom de baptême comme leurs cousins Alpins.
Modification
des statuts:
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Ancien
bataillon enrégimenté:
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Nouveau
bataillon Autonome:
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III/53.Reggimento
di Fanteria d'Arresto
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33. Battaglione
ARDENZA
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I/52.Reggimento
di Fanteria d'Arresto
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52.
Battaglione ALPI
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I/53.Reggimento
di Fanteria d'Arresto
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53.
Battaglione UMBRIA
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II/53.Reggimento
di Fanteria d'Arresto
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63.
Battaglione CAGLIARI
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73.Reggimento
di Fanteria d'Arresto
*
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73.
Battaglione LOMBARDIA
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III/52.Reggimento
di Fanteria d'Arresto
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120.
Battaglione FORNOVO
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* Le régiment est dissous et on n'en conserve que l'effectif d'un seul bataillon
En 1976, suite à ces réformes d'unités, la défense frontalière repose sur 3 bataillons Alpins d'Arrêt (répartis au Nord en secteur montagneux) et sur 6 bataillons d'Infanterie d'Arrêt (répartis au Sud entre Trieste et Gorizia...)
Effectifs
de sûreté sur la frontière Nord-Est - 1976
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Battaglioni
Alpini d'Arresto >
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Battaglione
Val Tagliamento
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Battaglione
Val Brenta
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Battaglione
Val Chiese
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Battaglioni di
Fanteria d'Arresto >
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33. Battaglione
Ardenza
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52.
Battaglione Alpi
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53.
Battaglione Umbria
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63.
Battaglione Cagliari
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73.
Battaglione Lombardia
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120.
Battaglione Fornovo
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La fin des troupes d'Arrêt italiennes
Dans les années 1980, il a été envisagé de moderniser la ligne fortifiée. L'armement n'était plus à la hauteur des possibilités d'une armée ennemie moderne et bien équipée; il était prévu en particulier de remplacer les vieilles tourelles de chars Sherman et Pershing (dépassées...) par des modèles plus résents (on envisageait d'installer des tourelles de chars américains M60 et éventuellement des tourelles de chars allemands LEOPARD, dont l'armée italienne était bien équipée).
C'est finalement la chute du mur de Berlin et l'effondrement du bloc soviétique qui sonna le glas de ces nombreuses formations de forteresse, dans les années 1990, même si certaines avaient été dissoutes avant ce moment important de l'histoire.
Les bataillons Alpini d'Arresto ont été dissous sur une certaine durée (Btg Val Chiese en 1979, Btg Val Brenta en 1986 et Btg Val Tagliamento en 1992).
Les bataillons d'infanterie d'Arrêt ont suivi; avec la dissolution en 1986 du 73e (Lombardia), et en 1991 des bataillons 33 (Ardenza), 63 (Cagliari) et 120 (Fornovo). Le 53e (Umbria) sera dissous en 1993 et le dernier, le 52e Battaglione d'Arresto ALPI le sera en 1996.
Les fortifications, désarmées, ont été fermées à clé et confiées aux unités de la G.a.F (Gardes Frontières) qui ne les réutilisa pas mais en assura, dans une certaine mesure, la surveillance.
Photographies prises en 2003-2004 - droits réservés www.kerfent.com
Photographis prises dans la vallée de Résia (VAL RESIA), province de UDINE. Positions de barrage établies dans la passe de SELLA CARNIZZA (pour la plupart des photos) et dans la passe du TANAMEA. Ces éléments faisaient face à la ville yougoslave de Zaga (entre Bovec et Kobarid).
Que penser de ces fortifications établies au moment où la France offrait la ligne Maginot "en pâture" à l'opinion public, pour justifier la défaite de 1940 ? Que penser de ces nombreuses troupes d'Arrêt contemporaines, cousines de nos anciennes troupes de forteresses trop longtemps dénigrées ?
Le comparatif n'avait pas encore vraiment été fait. Le paradoxe 1940-1990 non plus.